Opinion

Célibat des prêtres : un fossé entre l’Église et le reste de la société ?

Prêtre célébrant l’eucharistie. Photo Louis Jamin

Le vendredi 21 avril 2023 est rediffusé sur la chaîne LCP le documentaire « Célibat des prêtres, le calvaire de l’Église », initialement sorti en septembre 2022 sur Arte. Un débat a eu lieu à l’occasion, dont on regrette d’ailleurs qu’il n’ait pas inclus de prêtre vivant bien son célibat et prêt à en témoigner, car oui, cela existe, et la vie – l’avis ! – de ces prêtres est à prendre en compte au même titre que celle de ceux qui ne s’y retrouvent pas du tout.

Nombreux sont les sujets où l’enseignement et la doctrine de l’Église semblent incompréhensibles à la plupart de nos contemporains, et parfois en décalage avec le vécu et la réalité de ce qui se passe concrètement dans nos sociétés. Le célibat des prêtres en fait partie : au sein même de l’Église, de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en question cette tradition. De nombreux reportages sont passés ces dernières années dans les médias sur des prêtres catholiques devant dissimuler leur vie conjugale, leurs enfants le cas échéant, menant à des situations humaines parfois dramatiques.

En octobre dernier, nous recevions chez Cathovoice le Père Philippe de Kergorlay, qui nous a non seulement expliqué la place de ce célibat au long de l’histoire de l’Église, depuis les origines du christianisme jusqu’à aujourd’hui, mais aussi son sens théologique, et qui enfin nous a livré un très beau témoignage personnel sur la façon dont lui-même le vivait.

Il convient tout d’abord de mettre de côté deux arguments fallacieux pour placer ce débat au bon niveau et se poser les bonnes questions :

  • La crise des vocations à la prêtrise pourrait largement être résolue si on autorisait le mariage des prêtres :

Il n’y a pas de crise des vocations à proprement parler dans l’Église : il y a une crise du catholicisme tout court, que l’on voit notamment en Europe occidentale. Une partie importante de la population française va à l’Église pour Noël et Pâques, soit deux fois par an, et pour son baptême, son mariage et son enterrement, soit 3trois fois dans une vie, et aimerait bien sûr avoir un prêtre pour célébrer la messe à chacun de ces événements. Seulement, ce n’est pas réaliste : si l’on regarde les catholiques qui vont à la messe tous les dimanches, ils ne sont pas en surnombre face aux prêtres, et il y a en réalité une proportion logique entre le nombre de pratiquants réguliers et le nombre de prêtres en France. Il faut bien comprendre que les prêtres ne sortent pas d’un chapeau ! Beaucoup de prêtres ont muri leur vocation en grandissant au sein de familles catholiques pratiquantes : pas de familles catholiques pratiquantes, pas de prêtres. Pas de prêtres, pas de familles catholiques pratiquantes. Voilà où nous en sommes dans notre pays en voie de déchristianisation. La question du célibat est donc une question différente de celle-ci.

  • Le mariage des prêtres aiderait à résoudre la crise des abus sexuels dans l’Église

La pédophilie et les abus sur des religieuses sont le fait de personnes aux troubles profonds, souvent psychiatriques, qu’on ne saurait résoudre en mettant une femme dans le lit du pervers concerné… Malheureusement le premier lieu de la société où sévit la pédophilie est la cellule familiale. Le mariage des prêtres ne résoudrait donc rien de ce point de vue là. L’Église protestante en fait le douloureux constat, puisque les pasteurs peuvent s’y marier et qu’ils sont atteints des mêmes scandales que l’Église catholique. Là encore, la question du célibat est une question différente de celle-ci.

Une mauvaise compréhension de ce qu’est l’Église

Viennent ensuite des arguments qui témoignent d’une mauvaise compréhension de ce qu’est l’Église, son but et donc le sens de la prêtrise :

  • Le mariage des prêtres était permis à l’origine de l’Église ; les hommes mariés ont d’ailleurs le droit d’être ordonnés prêtres dans l’Église d’Orient, il n’y aurait donc pas de vrai fondement à cette règle dans l’Église d’Occident

La logique du « permis/défendu » dans laquelle on fait trop souvent rentrer ce débat témoigne en réalité d’un manque de foi profond… Le vrai sujet n’est pas de regarder chez le voisin ce qu’il a le droit de faire ou pas, mais de voir si la règle qu’il m’est demandé de suivre me fait grandir ou pas, et avancer vers Dieu. Ainsi il est possible que le célibat des prêtres soit un progrès dans l’Église, et non pas une régression. En réalité, il était institué dès les débuts du christianisme : quiconque, même marié, suivait le Christ, laissait sa famille de côté pour être pleinement au service de l’Église, tel que le fit Saint Pierre. L’ouvrage « Les origines apostoliques du célibat » de Christian Cochini revient plus en détail sur cet historique. Le célibat en vue de Dieu n’est pas une punition – même s’il peut être difficile à vivre – mais tant qu’il sera vu comme tel, on passera à côté du sujet.

  • La possibilité du mariage des prêtres n’enlèverait rien à ceux qui ne veulent pas se marier

Cet argument de la liberté qui veut que « la liberté personnelle des uns n’enlève rien aux autres » est souvent le fait de personnes qui ne considèrent pas, à l’inverse de l’Église, qu’il existe une Vérité et qu’il faut la rechercher ensemble. La logique de l’Église ne sera jamais celle de l’individualisme et du relativisme, où chacun vit sa vie dans son coin selon ce qui lui convient. L’Église propose différentes voies que sont, notamment, le mariage, le célibat consacré, la prêtrise… et les règles qui sont inhérentes à chacun de ces états de vie ont pour but de rejoindre Dieu. On devient prêtre après 7 ans de réflexion, en sachant bien que le célibat fait partie de cet engagement : personne n’est forcé à être prêtre, personne n’est forcé à être catholique dans notre société. Ceux qui argumentent en faveur du mariage des prêtres en disant que le célibat à vie est trop dur à vivre oublient que le mariage catholique, qui implique de rester fidèle à son unique conjoint jusqu’à la mort est également dur à vivre pour beaucoup, en témoigne le nombre de divorces dans la société d’aujourd’hui. La vraie question qui se pose est donc de savoir en quoi le célibat vécu comme engagement à vie peut, ou non, rapprocher de Dieu.

Une famille spirituelle plutôt que charnelle

Il est évident que si Dieu n’existe pas, le célibat des prêtres n’a aucun sens – la prêtrise non plus d’ailleurs. Les êtres humains sont faits biologiquement pour se reproduire, nos pulsions sexuelles nous y poussent. Néanmoins on peut vivre sans rapports sexuels, et de nombreux célibataires, non prêtres, le vivent, sans être en danger de mort : ces besoins ne sont pas du même ordre que la faim et la soif.

Pour l’Église catholique, le célibat du prêtre lui permet de se consacrer pleinement à l’Église, qui devient spirituellement son épouse : un prêtre est disponible pour ses paroissiens, il n’a pas la charge mentale, économique et affective d’un foyer. À la place, ce sont ses paroissiens qui deviennent sa famille, avec qui il passe du temps, dans les bons comme dans les mauvais moments. C’est ainsi qu’il doit sortir de la solitude et remplir son besoin affectif. Cela suppose des presbytères vivants, une véritable communauté de catholiques laïcs autour du prêtre, prêts à l’accueillir au repas familial du dimanche par exemple… On imagine bien comment la situation concrète de certains prêtres, très isolés, peut rendre la réalité du célibat très compliquée à vivre quotidiennement. Mais cette solitude est peut-être plus à mettre en lien avec l’éclatement de nos sociétés, la montée de l’individualisme, nos campagnes qui se vident, qu’avec le rôle du prêtre tel que proposé actuellement par l’Église. Ils sont nombreux, les prêtres épanouis dans leur célibat, mais c’est peut-être parce qu’ils vont bien qu’ils ne ressentent pas le besoin d’en parler. Le bien ne fait pas de bruit, mais nous voulions quand même par cet article leur rendre hommage et les remercier pour le témoignage spirituel qu’ils nous donnent par leur exemple.

Emmanuelle pour CathoVoice

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