Réaction

Charles de Foucauld, si lointain et si proche

Difficile, de prime abord, de me sentir complètement proche de Charles de Foucauld. Orphelin, militaire, converti, géographe, explorateur, prêtre, ermite dans le désert… aucun élément de vie personnelle, professionnelle ni vocationnelle ne nous rapproche directement. Son choix de vivre dans une extrême pauvreté – à Nazareth d’abord puis dans le Sahara – par souci d’être dans l’imitation la plus fidèle possible de Jésus, semble l’éloigner totalement d’une grande majorité de nos contemporains. Difficile, alors, d’en faire une figure proche à prendre comme source d’inspiration pour nos vies quotidiennes.

Et pourtant…Pourtant, si dimanche 15 mai 2022 Charles de Foucauld sera proclamé Saint, ça n’est pas pour sa conversion fulgurante, ni pour sa vie d’ermite. Ni même pour son assassinat. Dimanche,Charles de Foucauld sera proclamé Saint parce que sa vie reflète – de manière particulièrement admirable certes – ni plus ni moins que ce à quoi tout baptisé est appelé : une vie complètement unie à Dieu. Comme chez bien d’autres saints avant lui, le choix d’une vie « hors du commun » n’est que la face émergée, ou plutôt le débordement, d’une profonde relation d’amour avec Dieu. Et le chemin qu’il parcourt jusque-là, ses élans, ses ressorts, ont finalement de quoi être une puissante source d’inspiration.

La prière avant tout et en tout

Comme tout (futur) saint, Charles de Foucauld met au cœur de sa vie sa relation à Dieu, qu’il entretient par la prière. Au moment de sa conversion, il fait l’expérience d’y trouver « quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines », ainsi qu’une profonde source de paix et de joie, que les fêtes et plaisirs faciles ne lui avaient jamais apportées. Pour lui, prier n’est pas disserter sur sa propre vie en laissant Dieu spectateur d’un monologue. Prier, dit-t-il, « c’est penser à Dieu en l’aimant », valorisant ainsi la prière pour ce qu’elle est profondément : l’entretien d’une relation.

Par la prière silencieuse, Charles de Foucauld fréquente Dieu, se rapproche de Lui, devient de plus en plus fasciné et façonné par Lui. « Seigneur, faites mes pensées, faites mes paroles » a-t-il l’habitude de demander, de sorte que l’intimité entretenue avec Dieu par la prière vienne peu à peu le transformer, l’unifier, le combler.  

L’approfondissement de sa vie spirituelle par la prière, la confiance et l’abandon à Dieu lui dévoile peu à peu son appel :  être un prêtre ermite, appelé à une présence fidèle, discrète, aimante, auprès de ses frères Touaregs et musulmans. Alors Charles de Foucauld y consent et s’y engage, pleinement et librement. Non par sacrifice, ni par recherche de gloire personnelle ou esprit de conquête, mais parce que, en Dieu, il trouve son identité profonde. En Dieu, il comprend où est sa vraie place. Il comprend que c’est là-bas, dans le désert du Sahara, qu’il pourrait se donner le plus entièrement à Dieu et à ses frères.

Être avec son prochain, et l’aimer

Auprès des Touaregs qu’il côtoie au quotidien, Charles de Foucauld mène une vie discrète, offerte, faite d’amour et de service.

A l’image du Christ qui, par son incarnation, a lié sa condition aux hommes, Charles de Foucauld adopte le quotidien et le mode de vie de ceux qui l’accueillent au Maroc. Il apprend leur langue, acquiert leur culture, cherche à se faire tout proche pour mieux les connaître, mieux les aimer. Pour mieux servir, écouter, compatir.  C’est ainsi qu’il souhaite « aimer les humains comme Dieu les aime » et témoigner, discrètement et véritablement, de l’amour de Dieu pour chacun.

De toutes ses années de prêtre, Charles de Foucauld n’a pas de prédication publique ; il ne réalise pas non plus de grandes œuvres, ni de miracle.  Mais en silence, par l’amour reçu de Dieu dans la prière, puis partagé aux autres dans le service, il aspire à être, pour chacun, le « frère universel ». Par sa présence fraternelle, il espère concourir au salut des âmes, et tout particulièrement des plus éloignés du Christ qu’il trouve à travers ses amis musulmans.

En ayant choisi une vie cachée, Charles de Foucauld développe une spiritualité de l’évangélisation dans la discrétion. Il rappelle ainsi combien l’évangélisation n’est pas le domaine réservé des extravertis, des grands orateurs ou des enseignants. Elle est la mission de tout baptisé, avec des modalités différentes selon les contextes et les appels. De quoi rejoindre tous ceux résignés – à tort – à l’idée que l’évangélisation n’est pas leur appel, que cela ne correspond pas à leur personnalité, ou que le contexte environnant n’est pas propice au témoignage de Foi. Charles de Foucauld y croit : l’amour rend visible la Foi.

Avoir un cœur uni à celui du Christ a peu à peu forgé à Charles de Foucauld une volonté et une capacité à se donner totalement, dans une vie d’ermite et de pauvreté. Mais notre responsabilité de baptisé n’est pas de copier ce qu’aura vécu extérieurement tel ou tel saint – ça n’est d’ailleurs pas parce qu’on prie beaucoup qu’on finit ermite. Notre responsabilité est de croire que seul l’amour du Christ comble, et que seule une vie unie à Dieu permet une vie en plénitude. De cette Foi découlera le désir d’une vie radicalement donnée, quelque soient les formes, les apparences que prendra ce don.  

Alors oui, finalement, toute la vie, la pensée et la spiritualité de Charles de Foucauld m’inspirent. Pas par son état de vie qui n’est pas le mien, mais par sa toute première vocation qui est aussi la mienne en tant que baptisée :  la Sainteté. 

Comment y parvenir ? « « Soyons fidèle dans les petites choses, pour être fidèle dans les grandes » répond Charles de Foucauld reprenant l’Evangile[1]. Puissante exigence de vie, transposable à l’infini dans toute profession, tout état de vie, toute génération. De cette manière, la fidélité dans la prière et la fidélité dans l’amour de l’autre, jour après jour comme une goutte d’eau qui polit la roche, orientent mon âme, l’affermissent, et la disposent à une vie sainte…à la suite de Saint Charles de Foucauld, et de tous les saints, dont le témoignage nous montre que la capacité à donner sa vie ne se décrète pas : elle se construit, et se reçoit.


[1] Luc, 16, 10.

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