Réaction

Que dit l’Eglise sur la réforme des retraites ? Que pensent les catholiques du débat qui secoue la France aujourd’hui ?

C’est un des grands sujets du moment, qui suscite des remous à l’Assemblée nationale et qui risque de bloquer le pays mardi 7 et mercredi 8 mars : faut-il allonger l’âge du départ à la retraite en France ?

On peut avoir l’impression que l’Eglise n’a pas vraiment d’avis sur ce type de sujet, qu’elle ne s’y intéresse pas, ou en tout cas beaucoup moins qu’à la bioéthique, qu’à la vie morale et sexuelle de nos concitoyens. Beaucoup peuvent avoir le sentiment qu’elle est déconnectée des préoccupations quotidiennes des Français et qu’elle n’est plus fidèle au Christ dans sa capacité à avoir une parole tranchante et authentiquement révolutionnaire sur tous les plans, à la défense des pauvres et des opprimés de ce monde.

C’est bien dommage car la longue tradition de l’Eglise lui a valu d’avoir une vraie réflexion sur le sens et la place du travail, l’organisation de la société et du bien commun. Sa pensée est notamment résumée dans la Doctrine Sociale de l’Eglise, qui rassemble les textes et les réflexions qu’elle a produites en vue d’incarner l’Évangile dans les réalités politiques, économiques et sociales de nos sociétés. Elle reprend plusieurs encycliques qui ont abordé la question du rapport au travail, la plus célèbre étant Rerum Novarum du Pape Léon XIII, publiée en 1891, à une époque où l’industrialisation de l’économie avait profondément transformé le rapport des hommes au travail, et suscité de nouvelles formes de précarité, notamment dans la classe ouvrière. Un siècle plus tard, en 1981, le Pape Jean-Paul II publiait l’encyclique Laborem exercens, réflexion sur le travail humain. Il y dit par exemple : « Si le travail est une obligation, c’est-à-dire un devoir, il est aussi en même temps une source de droits ». Parmi ces droits, « le droit à la retraite et à l’assurance vieillesse » (nos 16, 19). L’Eglise n’est donc pas indifférente au sujet qui préoccupe nos contemporains, mais il est intéressant de constater que plusieurs sujets sont en réalité en jeu avec cette réforme des retraites, qui rend la possibilité d’une position tranchée plutôt complexe :

  • L’évolution de notre rapport au travail : pénibilité physique ou due au stress, 35 heures/RTT, burn-out, crise de sens,…
  • L’évolution de la démographie de notre pays : allongement de l’espérance de vie et natalité en baisse, qui mettent en péril le fonctionnement d’un système de répartition supposant que les plus jeunes cotisent pour les plus âgés
  • La différence de traitement entre les hommes et les femmes : la maternité doit être pleinement prise en compte pour une répartition équitable
  • La réalité budgétaire de notre pays : un certain pragmatisme financier est important pour ne pas faire peser uniquement sur les générations futures le coût de la dette accumulée
  • La difficulté croissante d’un certain nombre de retraités à vivre décemment avec une retraite parfois faible, notamment face à l’inflation

Témoignages

Qu’en pensent les catholiques français en 2023 ? Deux membres de CathoVoice témoignent :

« J’avoue que je ne sais que penser de la réforme des retraites. D’une part, le système par répartition devient aujourd’hui défaillant en raison d’une pyramide démographique qui s’inverse. Ne rien faire, ne rien proposer me paraît problématique. D’autre part, je reste préoccupée par les grandes inégalités qui laissent des personnes âgées dans des conditions d’existence proches de l’indécence. 5,7 millions de retraités perçoivent moins de 1000€ par mois, soit 37% de l’ensemble. Ceux qui sont locataires sont particulièrement à la peine. Le travail de certains, comme les ouvriers, raccourcit leur espérance de vie (7 ans de différence entre un homme cadre et un homme ouvrier).

En tant que catholique, je m’inquiète de la manière dont on traite les plus fragiles, les plus âgés, les plus pauvres, et j’ai parfois peur que des exigences de rentabilité économique prennent le dessus sur la nécessaire humanité qui impose des conditions de travail puis de retraite dignes. »

Louise


« Je suis particulièrement frappé par le décalage entre le monde politique et le reste de la population. Je ne vois qu’un débat de posture de la part des élus. Les enjeux des débats sont devenus illisibles alors que l’on parle de la vie quotidienne des français. Je pense que le responsable politique est au service de ses concitoyens et non pas au service d’un parti politique, or j’ai l’impression que le personnel politique utilise ce débat pour exister médiatiquement bien plus que pour servir réellement la population. »

Erwan


« Ce qui m’interpelle surtout, c’est la violence qui entoure ce débat sur la réforme des retraites. Ce n’est hélas pas nouveau, mais je trouve que ça devient de pire en pire. Il devient impossible de discuter sans être immédiatement sommé de prendre parti radicalement, « pour » ou « contre ». Alors qu’il me semble qu’il est très compliqué d’être juste « pour » ou « contre » sans se poser d’autres questions qui dépassent largement cette réforme, comme celle de la solidarité nationale, de la solidarité entre les générations ou de la politique familiale que nous voulons pour notre pays.

Mais ces questionnements sont hélas inaudibles, parce qu’ils sortent d’un schéma binaire qu’on veut nous imposer. Personnellement, ça m’attriste et m’effraie pour l’avenir : comment pouvons-nous prétendre vivre ensemble si nous ne pouvons plus discuter sans violence, sans procès d’intentions, sans amalgames ?

Et je me demande aussi comment, comme catholique, je peux travailler à pacifier les choses, autour de ce sujet mais surtout de façon bien plus générale : comment pourrais-je, à mon niveau, être pleinement « artisan de paix », comme nous le demande le Christ, aujourd’hui ? »

Louis

Source : https://eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/economie/489446-la-reforme-des-retraites-vue-par-la-doctrine-sociale-de-leglise/

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